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Il était une fois, un petit calice qui attendait d’être trouvé. Personne n’aurait pu prétendre à le détenir. Et personne n’aurait pas non plus imaginé qu’il existait. Il attendait donc, à la fois déterminé à amener une âme pure jusqu’à lui avec la patience d’un ange… et à la fois triste car il semblait que personne ne s’en trouve digne. Se pouvait-il que les humains fussent si superficiels ? Ou si empêtrés dans leur vie terrestre qu’ils eussent oubliés jusqu’à l’étincelle d’amour pur qui dormait dans leur cœur ? Alors qu’il rêvait à tout cela lui vint une idée. Si aucune âme pure ne venait jusqu’à lui, c’était peut-être à lui de se déplacer jusqu’à elle. C’est alors qu’une belle et magnifique aventure commença pour lui. Totalement imprégné de la magie du monde, il prit l’apparence d’un jeune homme et se mit en marche. Il traversa des montagnes et des mers toutes plus gigantesques que les autres. Plus il avançait et plus il avait l’impression de reculer.

« Jamais mon voyage ne prendra fin ! » se dit-il un jour alors qu’une pluie battante s’abattait sur lui. Il marchait dans les rues d’une ville mais personne ne semblait vouloir lui tendre la main. Ne serait-ce que pour lui offrir un repas chaud ou une nuit au sec. Les humains semblaient froids et tristes. Et, bien qu’il en eût pris l’apparence. Cela ne changeait rien. Il était toujours aussi invisible.

« J’aimerais ne jamais avoir quitté ma grotte. » songea-t-il. « C’est peine perdue. Jamais je ne trouverai cette âme pure destinée à me délivrer de la solitude dans laquelle je suis plongé depuis de si longues années. Depuis la création du monde des hommes… ceux qui ont oublié jusqu’à leur puissance intérieure, jusqu’à leur magie. Je ne sers à rien. On m’a menti. On m’a dit que je serais un jour récompensé de cette attente et de ce sacrifice. Mais c’est à croire que ceux qui m’ont dit ça ont eux-mêmes oublié notre deal. Leur vie ainsi écoulée, ils ont disparu et ont replongé vie après vie dans un éternel recommencement. Ils ont perdu la boussole chargée de les ramener à la maison. Et moi, je me meurs, seul. Pourtant, si une seule personne daignait s’intéresser à moi, je pourrais lui faire boire un peu de mon contenu, si pur, si doux. Il recouvrerait la vue instantanément et mon rôle s’achèverait enfin. Je pourrais moi aussi m’amuser à vivre dans l’insouciance. C’est infernal cette attente. Je n’en peux plus. Que quelqu’un me voit ! Que quelqu’un me regarde avec les yeux de l’amour ! Que quelqu’un m’aime ! Je suis si beau. Le vin que je contiens est si bon. Je détiens des secrets que n’importe quel humain voudrait détenir pour retrouver la liberté. Mais non ! Ils tournent en rond comme des zombies. Voyez que je suis sorti de ma grotte ! Voyez que je vous facilite la tâche ! Je suis venu jusqu’à vous. Mais regardez-moi donc ! Je suis votre solution. Je suis là sous votre nez et vous m’ignorez ! Bande d’humains débiles que vous êtes ! »

Alors dans un ultime désespoir, il s’écroule à genoux sur le sol et pleure. Pleure toutes les larmes de son corps. Ce qu’il ne sait pas c’est que ces larmes le lavent de tout ce qui a fait qu’il était lui. Pendant que la pluie continue de tomber et qu’il pleure, alors que la nuit est tombée et que plus personne ne viendra à son secours, il finit par s’effondrer au sol. Il abandonne. Le désespoir l’a emporté. Il avait espoir que les humains se réveillent et que par sa mission, il put engendrer un monde nouveau. Car cette âme pure qui l’aurait trouvé aurait bientôt transmis par son simple contact l’amour pur qui le constituait. C’était ce qui était prévu. Mais on lui a menti. On lui a vendu du rêve et il l’a enfin compris.

Quand la pluie a fini de tomber et que ses yeux se sont asséchés, il ouvre les yeux sur le matin qui vient de se lever. Le soleil brille soudain d’une manière qui vient le toucher littéralement. Des personnes qui passent par-là, alors que le jeune homme qu’il est devenu est couvert de boue des pieds à la tête le voient soudain. Un jeune garçon s’écrie même : « Regardez ! » Et alors les gens s’approchent pour l’observer. Qu’a-t-il ? Pourquoi le dévisage-t-on ainsi ? Alors qu’hier encore personne n’osait daigner poser ne serait-ce qu’un regard sur lui ! Qu’est-ce qui a changé ? Alors la mère du petit garçon vient l’aider à se relever. Elle l’invite à les suivre et le ramène chez eux sous le regard émerveillé des autres habitants de la ville. Elle le fait asseoir devant une table en pierre et lui amène une bassine pleine d’eau. Elle entreprend alors de le débarbouiller. Avec une serviette en coton, elle le lave de toute la boue qui recouvre son visage. Cette jeune femme est douce. Elle lui sourit. Aucun mot n’est dit durant ce rituel car il s’agit bien d’un rituel. Le jeune garçon qui se trouve à côté de sa mère sourit aussi. Le calice ne comprend pas ce qui lui arrive mais pour la première fois de sa vie, on prend soin de lui. On l’accepte tel qu’il est sans se poser de question. On se moque qu’il soit le graal tant recherché. D’ailleurs, ce graal a depuis longtemps été oublié au profit d’une légende. Normal qu’on ne cherche plus à le trouver. Et pendant que cette femme le décrasse, sa peau se met à briller de plus en plus. Qu’est-ce qu’il lui arrive ? Pourtant ils ne cherchent pas à fuir en le voyant. Ils se contentent de sourire. Ils l’acceptent comme il est. Pur et imparfait à la fois. Caché sous son apparence d’homme, on l’accepte. Est-ce cela être humain ?

En cherchant à vouloir être spécial, il avait abandonné la possibilité de pouvoir vivre aux côtés de ces autres âmes. Durant des siècles, il a attendu. Est-ce que sont eux qui se sont perdus ? Ou est-ce lui ? Plus la femme le nettoie et plus il se souvient. Il se souvient que c’est lui qui a choisi son destin. Il devait partir avec les autres dans la vallée de la vie pour se plier au jeu divin, mais il a refusé, prétextant qu’il faudrait bien qu’un jour les hommes se souviennent. Il se trouvait tellement merveilleux tel qu’il était qu’il ne voulait pas entacher sa nature en revêtant le corps d’un humain. Il ne voulait pas plonger dans l’imperfection de la vie car c’était ce qu’on lui offrait. Ce jeu n’était pas parfait et c’était le deal auquel les âmes devaient se plier pour pouvoir aller jouer. Elles devaient accepter de se faire salir et d’oublier un instant leur apparente perfection pour pouvoir avoir la joie d’expérimenter. Le calice lui, avait voulu rester dans l’unité, seul, à ne pas jouer. Durant des siècles il en avait été fier. Attendant qu’une personne digne de lui vienne le sauver pour lui révéler qu’il avait accompli la mission la plus importante de sa vie. Or, ce qu’il n’avait pas compris c’était qu’il s’était laissé enfermer par son égo. Il était tellement persuadé que lui seul avait raison ! Que toutes ces âmes qui étaient descendues sur Terre pour se vautrer dans la futilité étaient dans l’erreur. Le seul moyen que les sages avaient trouvé pour que lui aussi s’incarne avait été de lui proposer ce rôle. Ainsi, parfait il resterait ! Mais seul à jamais il serait. Il comprenait seulement maintenant, alors qu’enfin il avait accepté sans le vouloir de jouer le rôle que tous attendaient.

En se libérant lui-même de son apparente perfection, il venait de tous les libérer en même temps de leur imperfection. Mais ce qu’il comprenait également, c’était qu’ils avaient tous choisi de jouer ces rôles aussi pour lui permettre de vivre cela. Eux tous, ces sales pêcheurs comme ils les considéraient avaient fait le plus beau des sacrifices pour le sauver. Des siècles durant, peut-être même un temps infini, ils avaient accepté de se sacrifier pour qu’un seul d’entre eux puisse comprendre la leçon qu’il devait apprendre. Ils ne sont qu’un et un seul être prenant différentes formes pour jouer. Et qu’il n’y avait rien d’autre à comprendre. Parfaits ? Ils le seraient toujours par leur nature véritable. Imparfaits ? Ils le seraient également car c’était le prix à payer pour pouvoir jouer et s’amuser.

Alors que la femme et le petit garçon lui souriaient, il voyait tout l’amour qu’ils lui portaient. Les gens du village s’étaient agglutinés pour l’observer. Et alors il sut. Il sut que sa vie ne serait plus jamais comme avant et qu’il venait lui-même de se trouver. Le calice qu’il avait cru être pour les autres lui était en fait réservé. En abandonnant la lutte, en acceptant son sort et en acceptant d’avoir perdu, il venait en fait d’avoir tout gagné et remporté. La victoire sur la plus belle histoire qui lui avait été de vivre… la rencontre avec lui-même. En se croyant moins que rien, il venait enfin de retrouver son tout ! Le soir-même, les gens dansèrent et rirent en chœur. Cette jeune femme qui lui avait tendu la main devint sa femme et le petit garçon le considéra rapidement comme un père. Il prit son nouveau rôle très à cœur. Et quand vint la fin de sa vie, il sut qu’il ne s’arrêterait jamais de jouer. Car il accepterait éternellement de redescendre la vallée pour venir jouer encore et encore et avec joie tous les rôles que la vie lui proposerait !


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